Les élèves d'aujourd'hui : un défi pour les enseignants?
Extrait - Julie
La discipline n'est plus devenue un défi, le jour où j'ai respecté mes élèves comme des êtres humains intelligents, puis qu'ils avaient un cœur, puis qu'ils avaient des opinions. Je pense que c'est comme ça qu'il faut le voir.
Animatrice
Bonjour et bienvenue à Imagine l'Enseignement, un balado qui démystifie c'est quoi être enseignant à l'élémentaire et au secondaire dans les écoles de langue française en Ontario. Je m'appelle Alexandre et je vous emmène avec moi au travers de la province à la rencontre d'enseignants passionnés par leur métier. C'est avec eux qu'on va explorer des grandes thématiques de la profession.
Dans cet épisode, on s'attarde sur un thème qui fait peur à plusieurs, la fameuse discipline. Est-ce que les jeunes d'aujourd'hui sont difficiles à gérer? Est-ce que c'est un défi de concilier avec les comportements et les états d'âme des élèves? J'ai questionné des enseignants de différents horizons pour savoir comment ça se passe pour eux. Est-ce que c'est si pire que ça, faire de la gestion de classe?
J'ai commencé par demander à Angèle, qui enseigne à Hearst, de nous expliquer sa vision de la discipline.
Angèle
Discipline, je n'aime pas tant le mot. Gestion de classe, peut-être. Si tu présentes la matière ou tu inventes des projets créatifs, il n'y en aura pas tant à faire. Ça commence par la bonne planification, puis tu sais où tu t'en vas avec tes affaires. Les personnes qui diraient « J'ai peur de faire la gestion de classe. » À la base, si tu crées des choses engageantes, motivantes. Les élèves n'ont pas envie de déranger, ils ont envie de t'écouter et de travailler.
Animatrice
J'ai ensuite posé la question à Julie, une enseignante au secondaire, comment ça se passe pour elle? Est-ce que c'est difficile?
Julie
(rires) Oui, ça peut l'être. Oui. De plus en plus, ça peut arriver avec les défis de santé mentale, les troubles d'anxiété qui deviennent de plus en plus présents. En tout cas, moi, je le vois. Je ne sais pas si c'est anecdotique, mais j'ai l'impression que c'est plus présent. Ça prend une confiance en soi, ça, c'est vrai. C'est sûr que si on est plus ou moins préparé, puis qu'on est un petit peu susceptible, l'élève va le sentir, puis on va devenir plus vulnérable. Quand je dis « susceptible », le jeune, ce n'est pas parce qu'il se braque devant nous ou qu'il présente un peu d'arrogance que c'est personnel. Des fois, c'est simplement le cadre familial, l'évolution, les hormones, la crise d'adolescence. Le rapport de force ne fonctionne pas. Si on veut poursuivre comme on faisait l'école des décennies, c'est sûr que la discipline va être omniprésente. Il faut tout le temps garder un intérêt. Si le jeune s'ennuie en salle de classe, on va avoir des problèmes de discipline, c'est sûr. Le défi, c'est que l'apprenant reste tout le temps dans la zone où il est motivé, sans être frustré. Donc, si le défi est trop important, on va vivre une frustration et si le défi est trop simple, on va vivre un ennui. Donc, il faut tout le temps rester dans la zone optimale pour que les jeunes restent engagés dans une salle de classe. Quand les jeunes ont du fun, qu'ils sont engagés, habituellement, la discipline est plus ou moins difficile. Pour les cas qui sont plus sérieux, on est des équipes qui sont mises en place. Il y a d'autres enseignants qui vont vivre la discipline autrement, qui vont avoir une rigueur. La rigueur est super importante dans une salle de classe, mais qui vont vraiment miser sur cet aspect- là pour pouvoir garder un climat plus discipliné. Moi, ma classe va être plus bruyante. On passe en face de ma classe, c'est bruyant. Les jeunes, ils parlent fort, ils rient, mais quand je circule, puis j'entends les conversations, c'est en lien avec le contenu, donc l'inquiétude est moins là. Vous comprenez ce que je veux dire? Il y a différents styles. C'est correct que les jeunes voient un peu tous les styles.
Animatrice
Martin et Louis, des enseignants en art, nous partagent leur vision de la gestion de classe et les approches qu'ils ont développées pour optimiser le climat d'apprentissage.
Martin
La discipline, non. C'est sûr que tu rencontres des élèves ou des classes qui sont un peu plus turbulents, c'est sûr. Surtout au début. Au début, je me suis fait envoyer promener une couple de fois. Mais c'est la façon que tu vas prendre ça, parce que les élèves vont regarder ta réaction, puis ça va dicter tout ton, ta discipline. Tu fais ça avec humour, le sourire, souvent, en tout cas la plupart du temps, ça passe super bien. Mais si tu es nerveux au début, les élèves voient ça, surtout au secondaire.
Louis
La discipline, il faut toujours qu'il y en ait. La discipline, j'utiliserais plutôt le terme « la structure », parce que les élèves recherchent de la structure. Même si on est en art, cette structure-là, des fois, elle peut avoir l'air de l'extérieur chaotique, mais des fois, c'est d'offrir des moments où est-ce qu’on est en exploration. Le challenge, moi, je trouve ça intéressant. Je ne trouve pas ça impoli, parce que j'ai une très bonne relation avec mes élèves.
Animatrice
Frédéric a été enseignant pendant plus de 15 ans et il est maintenant pompier. On peut dire que c'est un gros changement de carrière, mais il continue quand même d'œuvrer en éducation à ses heures. Il en a vu de toutes les couleurs et nous partage ce qui, à ses yeux, est le plus important par rapport à la discipline.
Frédéric
Je suis quelqu'un qui établis... en tout cas dans la mesure du possible, j'essaie d'établir un bon rapport avec mes élèves. Le côté relationnel, pour moi, est important. Je disais tout le temps avec mes élèves, quand on faisait nos règlements de classe au début du premier cours de l'année, c'était un peu « OK, comment on va fonctionner? » Je parlais de cellulaire, je parlais d'avoir son matériel, puis je finissais avec l'importance d'avoir une attitude positive. Je dis tout le temps aux élèves, je vais te le dire si j'ai vraiment une mauvaise journée, mais je dis entre chaque classe, je me donne comme mission à chaque début de période de peser le bouton de « reset », puis de recommencer avec une attitude positive, parce que vous avez le droit à ça. Cette attitude-là, puis cette ouverture d'esprit là, je la demandais aux élèves également. La même chose avec le respect. Si tu donnes du respect, tu vas en recevoir. Une attitude positive, comme une attitude négative, peut-être contagieuse.
Animatrice
Célina enseigne la soudure à Timmins et nous raconte comment ça s'est passé pour elle au début de sa carrière.
Célina
J'avais la difficulté à savoir comment gérer ma classe. J'avais des classes de 25 élèves. Pour moi, c'était comme « OK... ça c'est beaucoup de jeunes ». J'avais des élèves qui m'aidaient avec les autres élèves, ils disaient « Hey guys, madame essaye d'enseigner là, aide-là. » OK, cool, sweet j'ai une gang, OK. Moi, je suis une personne vraiment laid back, mais les élèves connaissent que je suis très stricte avec la sécurité, je ne joue pas des jeux. Oui, comme je peux montrer des petits trucs qui sont cool, mais je ne fais rien qui est contre la sécurité. Mais habituellement, mes groupes, ils me connaissent. Ils me connaissent que je suis stricte avec certaines affaires, puis comme le respect en salle de classe, en fin de compte. Dans la shop, s'il fait quelque chose de dangereux, je vais le dire, on parle, puis on va figurer quelque chose si on a besoin de faire une prochaine étape ou s'il faut que je fasse un appel aux parents. Compare-moi maintenant, au commencement, je ne savais pas comment faire la discipline au commencement. J'appelais le bureau à chaque fois « qu'est-ce que je fais avec un cas comme ça? » OK. Ouais...
Animatrice
Ce que je comprends, c’est que si tu es un enseignant qui fait un effort pour s'intéresser à ses jeunes, qui fait un effort pour engager ses jeunes, la gestion de classe devient plus facile et agréable. L'important, c'est de développer une relation avec les élèves et créer une dynamique de classe positive. Maintenant, comment on fait pour y arriver? Fatima, une enseignante à l'élémentaire de la région de Toronto, nous donne des premiers conseils.
Fatima
Quand je parle aux enseignants, je leur dis « Donnez-vous deux mois. Deux mois où vous allez apprendre à connaître vos élèves, vous allez établir le profil de vos élèves, et vous allez organiser votre salle de classe. » Une salle de classe qui est organisée, où toutes les choses sont étiquetées, un petit peu comme quand tu vas faire tes courses. Tu sais très bien que le rayon il est là, l'élève va reposer le truc dans le bon rayon, avec le bon prix, avec le bon nom. Tout est étiqueté. Et là, tu travailles sur tout ce qui est autonomie de tes élèves. Donc ça prend deux mois. Ça peut prendre pour certains élèves un petit peu plus de temps, mais t'as des éléments dans ta salle de classe. Moi, j'appelle ça mes leaders de salle de classe. Je travaille sur ces potentiels-là pour qu'ils puissent m'appuyer. Je me dis, moi, mes élèves, c'est mon équipe. En fait, la classe leur appartient. Moi, je deviens juste spectatrice à la fin, mais ça prend deux mois. C'est pour ça qu'il faut pas abandonner. Il faut se dire « OK, il y a une journée, il y aura des journées plus difficiles que les autres, mais je vous assure, moi, j'assure à tous les enseignants que j'accompagne, je dis, donnez-vous deux mois où vous allez organiser votre salle de classe et établir des routines avec vos élèves. Et après, ça marche comme sur des roulettes.
Animatrice
J'ai demandé à Jeanne, qui enseigne la science à Sturgeon Falls, c'est quoi l'aspect relationnel le plus important pour elle?
Jeanne
C'est toujours d'avoir le respect et la confiance des élèves, parce qu'une fois que ça s'est établi, tu peux leur faire déplacer des montagnes, si on pourrait dire. Ils veulent se faire entendre. Surtout au niveau secondaire, je n'ai jamais fait élémentaire, mais c'est des adolescents, c'est des adultes en devenir. Ils ont des choses à dire, il faut juste les écouter, ils ont leurs perspectives, ils ont leurs connaissances. C'est vraiment d'écouter ça, puis intégrer ça. C'est certain, il y a toujours des élèves avec lesquels je vais moins bien m'entendre, puis que ça va « clasher » un peu. Il faut que je me rappelle que c'est un élève, je suis un adulte, puis on n'a pas le choix de travailler ensemble. Des fois, c'est juste qu'on ne se connaît pas assez. Ça, c'est de prendre le temps supplémentaire pour apprendre à les connaître, puis vice versa. Pas besoin d'être des meilleurs amis, c'est juste d'avoir un respect mutuel. Je trouve qu'un élève va plus s'ouvrir si moi je m'ouvre. Sans aller dans les gros détails, mais des fois, partager les sports que j'aime ou un film que j'aime, et le type de musique. Des fois, un vendredi, justement, « OK, guys, sortez-moi une chanson que vous aimez. »
J’
Jeanne
Moi, je me fais une playlist. Des fois, je me promène en classe, « OK, qu'est-ce que tu écoutes? » Je me fais ma playlist. Quand ça vient le vendredi, je vois que le mood est... Ou un lundi, des fois, encore plus, où l'ambiance n'est pas super, « OK, on va écouter la musique de... » C'était à qui ce choix-là? C'est comme changer le mood, l'ambiance de classe, parce que ça, ça fait toute la différence. L'humour. Les jeunes aimeraient ça rire. Avoir des complicités, leur montrer que tu n'es pas parfaite. Je trouve ça a toujours un impact positif pour la gestion de classe. Être vulnérable sans pleurer devant eux autres, mais montrer que ça me fait de la peine ce que tu as fait ou je suis fière de toi ».
Louis
Cette espèce de vulnérabilité là, en fait de se placer dans cet état-là par rapport à nos élèves, je trouve que ce n'est pas une position de faiblesse, ce n'est pas une position non plus de perte d'autorité. Au contraire, ça permet par la suite que l'élève te prend pour un être humain et puis te considère aussi comme un être humain.
Animatrice
Julie, une enseignante de Longlac et Martin nous rappellent qu'il est important de considérer l'élève comme un être humain avant tout.
Julie 2
C'est vraiment de développer des relations avec les élèves et de ne pas trop pousser, de ne pas trop pousser, de ne pas trop pousser, de ne pas trop pousser. De miser sur le positif avec les élèves. Ça, je le dis tout le temps, c'est facile de voir ce qu'ils font de mal, mais va voir ce qu'ils font de bien. Prendre le temps de les écouter, les saluer « bonjour » partout où est-ce que tu les vois, parce que les élèves pensent qu'on ne les voit pas. On est trop occupé, on est dans... C'est de vraiment prendre le temps de jaser avec eux autres. Souvent, à l'heure du midi, moi, je m'assois avec les élèves, je jase avec eux autres, je passe de table en table « qu'est-ce que tu as fait cette fin de semaine? » et c'est vraiment de venir à les connaître. Des fois, ils te dévoilent de l'information que je ne veux pas savoir, mais « OK, n'oublie pas, moi, je suis madame. » « Oui, madame. » C'est vraiment de prendre le temps de les connaître, de devenir leurs amis, mais qui comprennent que je suis quand même madame. Quand les élèves ne font pas quelque chose de bien, moi, je les prends toujours « OK, ça ça n'a pas bien été » et on en jase. Puis le lendemain, « Est-ce que tu comprends pourquoi madame est intervenue? Est-ce que tu comprends? Souvent, non. « Ce n'est pas parce que madame, elle ne t'aime pas. Madame, elle t'aime. » Puis là, expliquer. Parce que souvent, je pense qu'en adulte, on a comme cette « il devrait le savoir », mais ils ne savent pas. Tu as besoin de prendre le temps de leur expliquer. Tu es une personne, je veux t’aider à devenir la meilleure version de toi-même.
Martin
Il faut que t’aimes les gens, jeunes, il faut que tu aimes ce que tu fais. Un bon enseignant peut enseigner n'importe quoi. Le monde qui écoute, c'est penser à « Il y a un enseignant... Oui, mon prof de... lui, il était cool, il était fin. » C'était quoi ses qualités? Probablement qu'il vous parlait. Comme moi, quand j'accordais mes guitares, j'ai toujours refusé de donner un accordeur à chaque élève. Ils venaient chacun me voir un par un, puis ça faisait du one on one. Je pouvais dire « et puis comment ça va? J'ai entendu dire que toi et ta blonde, ça va bien? », puis « ah Monsieur... » Un petit peu de sarcasme, puis de l'humour.
Frédéric
C'est très difficile de rentrer dans l'apprentissage s'ils ne se sentent pas bien, ils ne se sentent pas en sécurité, ils ne sentent pas qu'ils ont leur place dans cette classe-là. Mais de prendre le temps de voir, prendre le pouls du groupe un peu, où ils sont? Qu'est-ce qui les tracasse, puis bâtir à partir de là.
Animatrice
Finalement, on pourrait dire que la discipline, ce n'est pas si pire que ça. Ça commence par une bonne gestion de classe. Ça demande du dynamisme et de la créativité dans la livraison de la matière, mais c'est surtout super important d'être à l'écoute des élèves et de construire une bonne relation avec eux. Au-delà des objectifs d'apprentissage, on doit se rappeler qu'on a affaire à des humains en plein développement et que c'est ça le plus important. Un merci tout spécial à Angèle, Julie et Julie, Martin, Louis, Frédérique, Célina, Fatima et Jeanne, nos enseignants experts qui ont gentiment accepté de participer à ce balado. Je vous dis à bientôt pour un autre épisode d'Imagine l'enseignement.
Ce balado est une production de l’Université d’Ottawa et découle de la stratégie ontarienne de recrutement et de rétention du personnel enseignant de langue française. Ce projet est rendu possible grâce à une grâce à l'appui financier du gouvernement de l'Ontario et du gouvernement du Canada dans le cadre de l'Entente Canada-Ontario. Merci.
